INTRODUCTION GÉNÉRALE
Le premier cycle de l’enseignement supérieur au Cameroun propose une mosaïque de formations en sciences humaines et sociales. Ces formations devraient en principe orienter l’étudiant vers une profession ou un corps de métiers. Ainsi en est-il de la formation en information-communication où l’on a la possibilité de choisir, au finish, un métier précis : attaché de presse, documentaliste, éditeur, journaliste, publicitaire, photographe, etc.
Les métiers sont en tout cas nombreux dans cette formation dispensée soit dans le cadre d’un département autonome des facultés de lettres et sciences humaines, soit dans une école supérieure, soit encore dans une filière d’études, ou simplement comme une option ou un cours libre dans un département. Quel que soit l’ajustage institutionnel de la formation en information-communication, l’orientation de l’enseignement supérieur au Cameroun actuellement exige, avec l’application du système « Licence – Master – Doctorat », que l’étudiant en sorte avec un savoir-faire ou, à tout le moins, une familiarisation avec un domaine d’activités pour faciliter son insertion professionnelle.
La priorité, donc, c’est l’apprentissage des techniques d’un métier. Mais autant que la théorie sans pratique est vide, la pratique sans théorie est aveugle, comme l’affirmait le philosophe Kwame Nkrumah. Si l’essentiel est que les apprenants aient une formation en information-communication orientée vers la professionnalisation, c’est-à-dire l’adaptation à un métier ou sa pratique effective, il est aussi impératif qu’ils soient sensibilisés sur l’effort de recherche et de réflexion théorique qui précède, accompagne et suit la pratique du métier. C’est ce qui justifie, entre autres, l’inscription dans les programmes de tous les candidats à un métier dans le domaine de l’information et de la communication, d’un enseignement sur les sciences desquelles découlent les techniques des différents métiers.
A l’Université de Dschang, les enseignements de sciences de l’information et de la communication suivent cette logique et s’étendent pour le moment sur le premier cycle. Leur découpage se justifie par une orientation majeure : sensibiliser les apprenants à la pensée communicationnelle et ouvrir des perspectives académiques, scientifiques et professionnelles. Ainsi, les enseignements de communication sont répartis en trois cours libres dispensés aux semestres un (première année), trois (deuxième année), et cinq (troisième année).
Le cours du premier semestre est intitulé « Communication 1 », avec pour sous-titre, « Introduction aux sciences de l’information et de la communication ». Ce cours est structuré autour de trois centres d’intérêt principaux : d’abord le déblayage des notions d’information, de communication et de sciences de l’information et de la communication, ensuite la spécificité interdisciplinaire des sciences de l’information et de la communication, enfin quelques théories et modèles structurant les savoirs et les recherches en sciences de l’information et de la communication.
CHAPITRE 1
Sens et essence des notions d’information et de communication
COMPÉTENCES ATTENDUES DES APPRENANTS
– Définir l’information et la communication à partir de points de vue précis
– Identifier les convergences et les divergences sémantiques entre ces notions
– Présenter divers aspects de la communication
PLAN DU CONTENU DE LA SÉQUENCE PÉDAGOGIQUE
1.1. Information : recherche, renseignement, document,…
1.2. Communication : échange, partage, transmission,…
1.3. Aspects et difficultés de la communication
1.4. Information-communication : une dialectique constante
RÉFÉRENCES DOCUMENTAIRES
– BALLE, F. (2006). Lexique d’information communication. Paris : Dalloz.
– BENVENISTE, E. (2009). La Communication (extrait de Problèmes de linguistique générale) – Dossiers et notes réalisés par Seloua Boulbina et lecture d’image par Morad Montazami. Paris : Gallimard, Coll. folioplus philosophie.
– CACALY, S., LE COADIC, Y-F, POMART, P-D., SUTTER, E. (2008). Dictionnaire de l’information. Paris: Armand Colin, 3e éd.
– Dictionnaire Universel (2002). Paris : Edicef.
– Dictionnaire Hachette – Langue française (2001). Paris : Hachette.
– DORTIER, J-F. (2005). « La communication : omniprésente, mais toujours imparfaite », in La communication – État des savoirs. Auxerre : éd. Sciences humaines.
– JOLY, B. (2009). La communication. Bruxelles : De Boeck.
– MIEGE, B. (2004). L’information communication, objet de connaissance. Bruxelles : De Boeck & Larcier, INA, coll. Médias recherches.
– MILON, A., SAINT-MICHEL, S-H. (2000). Lexicom – Les 3 500 mots du marketing publicitaire, de la communication et des techniques de production. Paris : Bréal, coll. Synergies.
– http://fr.wikitionary.org/wiki/information
– http://www.cnrtl.fr/definition/communication
– http://www.toupie.org/Dictionnaire/Communication.html
– http://membres.multimedia.fr/clos7/expression/communication.html
Introduire, c’est faire entrer dans un lieu. C’est aussi commencer. Pour introduire quelqu’un dans un lieu, il faut s’assurer que la personne maîtrise les repères qui lui permettent de se déplacer aisément, une fois introduite. Les repères à maîtriser, dans le cadre de cette introduction aux Sciences de l’information et de la communication (SIC), ce sont les notions fondamentales d’information et de communication. Aussi, le présent chapitre s’articule autour de trois principaux axes : premièrement les significations de ces notions ainsi que leur essence, deuxièmement la compréhension de diverses formes de communication et des difficultés liées à celle-ci, troisièmement l’exploration de la dialectique « information communication », objet des SIC.
1.1. INFORMATION : RECHERCHE, RENSEIGNEMENT, DOCUMENT, FAIT, DIFFUSION,…
Le mot « information » a plusieurs sens. De façon générale, les dictionnaires de langue le définissent comme « l’action d’informer autrui ou de s’informer ». Informer c’est, entre autres sens, « avertir, mettre au courant », « donner connaissance d’un fait » ; c’est aussi donner une forme ou une signification à une chose (Dictionnaire Universel, 2002 : 618 ; Dictionnaire Hachette – Langue française, 2001 : 160).
En décomposant le verbe « informer », on retrouve le préfixe « in » et la racine « forme ». En latin, le préfixe « in » a deux sens principaux : « sans » et « dans ». Dans l’approche de compréhension de l’information, le deuxième sens paraît plus pertinent. La forme, quant à elle, désigne la figure extérieure d’un corps ou la configuration d’une chose. Cette figure permet de saisir la chose, de l’appréhender et, éventuellement, de la comprendre. La forme c’est aussi la manière dont une chose est ou peut être faite, présentée, traitée. Ainsi, donner une forme à une chose ou à un événement c’est traiter, c’est-à-dire construire d’une certaine façon, de manière à présenter une configuration qui permet de saisir le sens de la chose ou de l’événement dans une perspective donnée.
A partir de cette exploration étymologique (origine et formation du mot), il apparaît que l’information est un processus par lequel l’on construit des significations qui permettent de comprendre les choses, les comportements, les événements, etc. Dès lors que la signification est construite, l’information devient, au sens où le perçoivent souvent des spécialistes de la documentation, « une connaissance communiquée par un message transmis par un individu à un autre individu » (Dictionnaire de l’information, 2008 : 137). De ce point de vue, le Lexicom (2004 : 105) l’envisage simplement comme « l’action d’émettre ou de recevoir un élément de sens perceptible et intégrable dans un système de connaissance. »
Francis Balle (2006 : 213), quant à lui, clarifie la compréhension de la notion à trois niveaux. Il affirme notamment que l’information c’est un « renseignement ou [un] ensemble de renseignements concernant quelqu’un ou quelque chose, et susceptibles d’être portés à la connaissance d’une personne ou de plusieurs personnes. » A partir de ce premier niveau de compréhension, le sens de l’information se rapproche par exemple de l’instruction (enquête) judiciaire, de la documentation sur un sujet, etc. Ces renseignements s’acquièrent grâce à une sélection et, surtout, à une construction des données selon l’objectif visé. Au deuxième niveau, l’information fait référence, selon F. Balle, à l’industrie de production et de diffusion de la culture et des savoirs. Au troisième niveau enfin, l’information désigne à la fois « les nouvelles portant sur l’actualité (news), les données concernant les activités économiques, financières ou sociales (data), mais aussi les œuvres divertissantes (l’entertainment), le savoir en général (knowledge) […] »
On peut en fin de compte percevoir l’information d’abord comme une action de recherche, de traitement et de diffusion des données, ensuite comme un renseignement, un fait ou une donnée de connaissance, enfin comme un ensemble d’institutions de production, de gestion, de communication et de conservation de ces données. Qu’en est-il de la communication ?
1.2. COMMUNICATION : ECHANGE, PARTAGE, TRANSMISSION,…
Selon le Centre national français des ressources textuelles et lexicales (CNRTL) , le mot communication dérive du latin communicatio qui signifie « mise en commun, échange de propos, action de faire part ». Francis Balle (2006 : 82) le définit comme une « action consistant, pour les hommes, à échanger des messages, en face à face ou bien à distance, avec ou non le secours d’un média, et quelle que soit la finalité de cet échange. » Ici, l’on insiste sur l’échange entre émetteurs et récepteurs. Autrement dit, il ne peut avoir communication, selon cette vision, que lorsqu’il y a des échanges.
Dans le cadre de diverses activités au quotidien, toutefois, le mot communication n’implique pas toujours l’échange. Le terme renvoie aussi, comme le précise le CNTRL, à « l’action de communiquer quelque chose à quelqu’un ; le résultat de cette action. » Dans l’Administration par exemple, on parle souvent de « communiquer un dossier », c’est-à-dire le transmettre à un ou plusieurs services. En droit, l’expression « communication des pièces » signifie porter à la connaissance de la partie adverse les pièces dont on compte se servir au cours d’une procédure judiciaire. Ici donc, la communication est comprise comme « l’action de transmettre, d’informer » ainsi que le conçoit par exemple Bruno Joly (2009 : 7).
Au-delà de l’action de transmettre des informations, le terme communication fait également référence à la « chose communiquée », au « contenu de la transmission » et même à la « voie de transmission ». On peut ainsi parler d’une communication du président de la République, d’un chef d’entreprise, d’un leader d’opinion, d’un chercheur, etc. Précédé d’un substantif à l’instar de « moyen », « voie », « canal », … la communication implique ce qui permet d’établir une relation entre deux lieux, deux ou plusieurs personnes éloignées dans l’espace. On parle, dans le deuxième cas, de télécommunication ou de communication à distance.
Dans le cadre d’une organisation, « la communication est l’ensemble des techniques et moyens lui servant à se présenter elle-même, son activité ou ses produits et services [dans le dessein] d’améliorer son image, d’accroître sa notoriété ou d’augmenter les contacts avec des clients potentiels. »
Quelle que soit la perspective dans laquelle l’on se situe, des conditions essentielles doivent être remplies pour que l’on parle de communication : des interlocuteurs, des messages, des processus de transmission et/ou d’échanges. Une bonne communication requiert cependant davantage de conditions. Il faut notamment un code communément partagé par les interlocuteurs, une situation motivante de communication, etc. C’est pourquoi en sciences humaines et sociales, les chercheurs insistent sur une marge d’erreurs possibles lors du processus de transmission ou d’échanges.
1.3. ASPECTS ET DIFFICULTES DE LA COMMUNICATION
Pour Jean-François Dortier (2005 : 1), « l’être humain débute sa carrière de communicateur très tôt. A peine sorti du ventre de sa mère, il se met à hurler, crier, pleurer. Ces pleurs manifestent-ils la douleur, la colère, la peur ? On ne sait trop. Peut-être tout cela à la fois… Pour l’entourage, c’est un premier ‘signe’ : le bébé est donc vivant. C’est ainsi que commence la communication ». Il s’agit d’une communication non verbale, c’est-à-dire celle qui n’utilise pas des signes linguistiques. Cette communication se fait par les gestes, les regards, les postures, etc. Elle passe aussi par la façon de se vêtir, de se maquiller, de porter des signes d’apparat tels que les tatouages, les peintures du corps, etc. On peut ainsi distinguer la communication verbale de la communication non verbale.
L’homme n’est pas le seul être qui communique. Les animaux, les machines, bref tous les organismes vivants le font aussi. Comme l’illustre Dortier (2005 : 2), chez les espèces animales, on communique « pour appeler un mâle ou une femelle, à la période des amours (brame du cerf ou clignotement de la luciole), pour retrouver ses petits (miaulement aigu de la chatte), pour marquer son territoire (l’urine du lion qui délimite son royaume), pour définir les relations hiérarchiques (le ‘baisemain’ du dominé au dominant chez les chimpanzés), pour demander la nourriture (les piaillements des poussins) », etc. Mais chez les animaux, la communication est essentiellement non verbale. C’est pourquoi leur répertoire expressif reste limité aux sollicitations, aux alertes, aux avertissements et autres signes marquant leur statut, comme l’a relevé Emile Benveniste (2009) en étudiant la communication chez les abeilles.
Avec la communication verbale, celle dans laquelle on se sert d’une langue précise, « il est alors possible, affirme Dortier (2005 : 5), de poser des questions, de raconter des histoires, d’avoir des conversations, de créer des mondes imaginaires et même de rapporter les propos d’autrui, c’est-à-dire de s’extraire de la communication directe et immédiate. » On peut, en ce moment, choisir entre le code écrit ou le code oral. La communication peut alors se faire en face à face (cas d’un dialogue ou d’un échange de paroles entre deux personnes dans un lieu donné) ou à distance (cas de personnes qui se parlent par téléphone ou qui transmettent des « informations » par le biais d’une lettre, d’un journal, d’un livre, …). Elle peut avoir pour « source » un « émetteur » qui diffuse en direction d’un public nombreux et diffus ; on parle alors de communication de masse. Celle-ci se fait à travers les médias de masse tels que la presse écrite, la radio, la télévision, le cinéma, l’affichage et aujourd’hui internet.
Il n’est pas facile de communiquer efficacement, c’est-à-dire de formuler correctement un message, de le transmettre, qu’il soit bien reçu, compris sans ambiguïté, et que la réponse soit perçue dans les mêmes conditions. A ce sujet, Bruno Joly (2009 : 9) relève quelques distorsions qui ont souvent lieu dans le processus de communication. Il peut ainsi y avoir des « problèmes dans l’expression » (le message n’est pas bien formulé), des « problèmes de codage » (la forme utilisée n’est pas adéquate), des problèmes de transmission (le canal est défectueux), des « problèmes de réception » (l’interlocuteur ne saisit pas correctement le message), etc.
1.4. INFORMATION-COMMUNICATION : UNE DIALECTIQUE CONSTANTE
Information et communication sont deux notions qui entretiennent des rapports ambigus. Dans de nombreuses situations en effet, l’on prend l’une pour l’autre. Si l’on définit par exemple l’information comme l’action de donner un renseignement et la communication comme l’action de transmettre un renseignement, il serait bien difficile de faire le distinguo entre les deux. Le Dictionnaire de l’information (2008 : 137) indique d’ailleurs clairement que le processus d’information induit la communication car il n’y a d’information que ce qui doit être communiqué. Dans une perspective scientifique, de nombreux chercheurs affirment que l’on ne saurait séparer l’information de la communication, en tant qu’objet de connaissance (voir par exemple Bernard Miège, 2008).
En se référant à leur étymologie, on peut cependant dégager quelques traits de différenciation. Comme donnée de connaissance, l’information devient un contenu et, la communication, un processus par lequel ce contenu est transmis. Par ailleurs, dans le mouvement de l’information, les données vont d’un sens à l’autre. Mais lorsqu’elles circulent plutôt, c’est-à-dire qu’elles se partagent ou s’échangent entre interlocuteurs, on est plutôt dans un processus de communication. La communication suppose donc un feedback alors que l’information n’est pas astreinte à cette nécessité.
L’information se différencie aussi de la communication si on l’envisage dans le cadre de l’activité de structures organisées. Diffusée par exemple par les médias, l’activité d’information suppose que la mise en forme des nouvelles est neutre, équilibrée, honnête, etc. Par contre, la communication faite par les entreprises et diverses institutions est intéressée car ce qui est transmis résulte d’un parti pris stratégique. Cette communication vise avant tout à vendre un produit, améliorer une image, accroître une notoriété,… auprès d’un public bien ciblé. Ainsi, l’information éclaire les choix quotidiens de citoyens « libres » alors que la communication a pour but de les orienter justement vers un choix précis.
CHAPITRE 2
Les sciences de l’information et de la communication : une « interdiscipline »
COMPETENCES ATTENDUES DES APPRENANTS
– Énoncer des critères d’identification d’une science
– Expliquer le caractère interdisciplinaire des SIC
– Identifier le « noyau dur » de cette interdiscipline
PLAN DU CONTENU DE LA SEQUENCE PEDAGOGIQUE
2.1. L’info-com. et le savoir scientifique
2.2. Pas d’objet propre, mais des objets privilégiés
2.3. Les SIC au confluent de plusieurs disciplines
2.4. Un noyau dur : la logique des médias et des TIC
REFERENCES DOCUMENTAIRES
– BLANCHE, R. (1977). L’épistémologie. Paris : PUF, coll. Que sais-je ?
– BOURE, R. (2006). « SIC : l’institutionnalisation d’une discipline », in Olivesi, S. (dir), Sciences de l’information et de la communication. Grenoble : PUG, coll. La communication en plus.
– BOYOMO-ASSALA, L.C. & TETU, J.-F. (2010). Communication et modernité sociale – Questions Nord/Sud. Paris : L’Harmattan, coll. Communication et civilisation.
– BRETON, P. & PROULX, S. (2006). L’explosion de la communication – Introduction aux théories et aux pratiques de la communication. Paris : La Découverte, coll. Grands Repères.
– BOUGNOUX, D. (2001). Les sciences de la communication. Paris : La Découverte, coll. Repères.-
– GRAWITZ, M. (2001). Méthodes de sciences sociales. Paris : Dalloz, 11e éd.
– KLINKENBERG, J-M. (1996). Précis de sémiologie générale. Bruxelles : De Boeck & Larcier, coll. Points Essais.
– MUCCHIELLI, A. (1995). Les sciences de l’information et de la communication. Paris : Hachette supérieur, coll. Les fondamentaux.
– PERRET, J.-B. (2009). « Les SIC : essai de définition » in Dacheux, E. (dir), Les sciences de l’information et de la communication. Paris : CNRS éditions, coll. Les essentiels d’Hermès.
Le Dictionnaire universel (2002 : 1095) définit la science comme « ensemble, système de connaissances que l’on acquiert sur une matière précise, constituées et articulées par déductions logiques et susceptibles d’être vérifiées par l’expérience. » Madeleine Grawitz (2001 : 23 – 24) constate qu’ « autrefois découverte de l’essence [nature des choses], la science tend à devenir recherche de l’ordonnancement des phénomènes » . Autrement dit, c’est une activité humaine qui cherche à formuler des lois régissant des phénomènes. Traditionnellement, on distingue les sciences physiques et naturelles des sciences humaines et sociales. Les sciences de l’information et de la communication rentrent dans la seconde catégorie. L’épistémologie établit ce qui permet de distinguer minimalement une science non seulement des autres sciences, mais aussi des autres savoirs et conditions de la connaissance : un objet, des problématiques particulières et une méthode de recherche propre, des connaissances disponibles expliquant des faits ou phénomènes liés à l’objet spécifié. À ces critères de base, certains ajoutent la reconnaissance institutionnelle comme discipline de connaissance. Les recherches et les connaissances mobilisées autour de l’information-communication remplissent-elles ces critères ?
2.1. L’INFORMATION-COMMUNICATION ET LE SAVOIR SCIENTIFIQUE
Pour Alex Mucchielli (1995), l’émergence des Sciences de l’information et de la communication (SIC) comme « domaine spécifique » de connaissance s’est imposée avec l’essor de la société de communication . En effet, selon Laurent Charles Boyomo-Assala et Jean-François Tétu (2010 : 159 – 160), « les transformations de la société, depuis un demi-siècle, sont très largement dues à la communication : évolution très rapide des techniques audiovisuelles puis numériques, expansion des industries culturelles, transformation des rapports entre les gens du fait des déplacements, et transformation des modes d’accès au savoir comme des modes de travail. » Face à ce « nouvel état du monde, affirme Mucchielli (1995 : 8), il est naturel qu’une science spécifique s’intéresse à ces nouveaux phénomènes en œuvre, rassemble toutes les connaissances qui y sont relatives et produise un corps théorique et conceptuel destiné à l’analyser. » Ce « domaine » du savoir ce sont les Sciences de l’information et de la communication (SIC).
Francis Balle (2006 : 395) définit les SIC comme « l’étude des échanges entre individus ou entre groupes sociaux, dès lors que ces échanges expriment une pensée, grâce à des signes, des symboles, des représentations, des informations, des œuvres, quelles que soient la forme et la finalité de cette expression, et quel que soit le média dont cette expression fait usage. » Selon la société française des SIC, « est du ressort des SIC, [l’étude] des processus d’information ou de communication relevant d’actions organisées, finalisées, prenant ou non appui sur des techniques, et participant des médiations sociales et culturelles. Sont également pris en compte les travaux développant une approche communicationnelle de phénomènes eux-mêmes non communicationnels ».
Mucchielli (1995 : 8) estime que « la communication possède un ensemble de théories de référence, un domaine propre et une méthodologie scientifique appropriée. Dès lors, elle répond aux critères qui lui permettent de faire l’objet d’une science. » Les connaissances, en effet, sont disponibles. Elles permettent de comprendre les phénomènes communicationnels et structurent aujourd’hui la pratique des métiers de l’information et de la communication. Les SIC sont par ailleurs instituées comme « domaine spécifique » de savoirs avec des sociétés savantes, des chaires et des départements entiers dans les universités et grandes écoles. Cela suffit-il cependant à en faire une discipline scientifique autonome ?
2.2. PAS D’OBJET PROPRE, MAIS DES OBJETS PRIVILEGIES
La conception que Mucchielli (1995) a de l’information communication comme science est enthousiaste. Elle se heurte toutefois à certaines interrogations relatives, entre autres, à l’objet d’études et aux méthodes de recherche. En se référant à la définition institutionnelle des SIC en France, on remarque bien qu’au-delà des processus d’information ou de communication participant des médiations sociales et culturelles, tous les phénomènes étudiés par les autres sciences (droit, histoire, linguistique, sociologie, gestion, informatique, etc.) abordés sous une « approche communicationnelle » ressortissent également des SIC. Il ne se trouverait donc nulle part dans la nature un objet spécifique aux SIC. Avant qu’elles ne se constituent comme telles, d’autres sciences étudiaient déjà les processus d’information-communication. Plus est, les SIC elles-mêmes s’intéressent à certains phénomènes étudiés par d’autres sciences.
Le plus important, semble-t-on dire, c’est « l’approche communicationnelle » du phénomène étudié. Cette approche renvoie en réalité à la problématique élaborée et aux méthodes utilisées pour approcher la compréhension du phénomène. Comme le remarque Jean-Marie Klinkenberg (1996 : 24), « une discipline ne se définit pas par son objet, mais par sa méthodologie. » Il admet tout de même que des disciplines scientifiques peuvent avoir des objets privilégiés. Dans le cas présent, il s’agit des processus d’information et de communication. Pour aborder ces objets privilégiés, les SIC empruntent cependant des méthodes d’autres sciences, même si une épistémologie spécifique tend à se construire. Tout cela fait que l’on ne puisse parler ni de « la science de l’information et de la communication », ni d’une « discipline scientifique autonome ».
2.3. LES SIC AU CONFLUENT DE PLUSIEURS DISCIPLINES
Parce qu’elles empruntent beaucoup à d’autres disciplines, de nombreux chercheurs à l’instar de Daniel Bougnoux (2001), Bernard Miège (2004), Robert Boure (2006), Philippe Breton & Serge Proulx (2006) ou encore Jean-Baptiste Perret (2009), préfèrent parler des sciences de l’information et de la communication en termes d’interdiscipline. L’interdisciplinarité, telle que l’affirme Perret (2009 : 251), est une caractéristique fondamentale des SIC. Cela signifie, selon Laurent Charles Boyomo-Assala et Jean-François Tétu (2010 : 165) que « nous empruntons à diverses disciplines les concepts et les méthodes, et que nous tentons d’en croiser les apports en interrogeant en priorité des objets qui ne sont pas au cœur de ces disciplines-là. » Bougnoux (2001 : 4 – 7) explique ainsi qu’en communication, « on a la chance de confronter et de tresser ensemble des problématiques présentes dans d’autres domaines, mais inégalement éclairées. » Pour lui donc, « penser les phénomènes de communication entraîne à plusieurs ingérences dans d’autres disciplines […] Non pour le plaisir d’additionner des bribes de savoirs dispersés, mais pour remettre ceux-ci à plat, les relier et les éclairer les uns par les autres […]»
En dressant la généalogie des théories modernes de la communication , Breton & Proulx (2006) montrent précisément que les SIC se sont bâties sur trois éléments fondamentaux : la nouvelle rhétorique, les sciences humaines appliquées à la communication, et la cybernétique. Pour eux, tout part de l’Antiquité avec la rhétorique ancienne qui a accouché d’une part de la théorie de l’argumentation et d’autre part de la notion d’information. A partir de la théorie de l’argumentation, se développent la théorie de l’expression et les recherches sur le langage. Ces dernières donnent naissance à la linguistique, à l’analyse du discours et aux philosophies de la communication. De là, se crée la nouvelle rhétorique qui s’appuie sur les découvertes de la linguistique et de l’analyse du discours en faisant un retour sur la théorie de l’argumentation. La notion d’information, elle, féconde avec les sciences exactes et les sciences de l’ingénieur qui fondent la cybernétique. Entre les développements de la théorie de l’argumentation et de la notion d’information, apparaissent les sciences humaines dont certaines s’intéressent aux questions de communication.
Cet héritage historique est revendiqué par les SIC. A ce sujet, Bougnoux (2001 : 17) formule le vœu de l’évolution « vers une culture communicationnelle ». Entre le micro et le macrosocial, celle-ci « devrait embrasser au minimum une sémiologie, elle-même corrigée ou enrichie par une pragmatique et par une médiologie (pour rendre compte des phénomènes de l’énonciation sans en exclure la logique des différents médias) ; les modèles de la cybernétique devraient y intervenir, notamment les logiques de causalité circulaire et de l’auto-organisation ; les concepts de la psychologie sociale ou de la psychanalyse parachèveraient utilement un cursus où l’on apprend pas seulement comment nos messages circulent, mais selon quels effets imaginaires ou symboliques ils trouvent preneur, et quelles raisons ou folies collectives fondent nos communautés.»
A la base donc, les objets des SIC se construisent aux frontières de ce que les disciplines classiques reconnaissent comme pertinents à analyser mais à des niveaux différents de ce que ces dernières retiennent. De façon générale, les SIC cherchent à élucider les rapports entre les trois dimensions d’un même objet d’étude identifiées par Perret (2009 : 127) : la circulation du sens, les acteurs et les pratiques sociales, les techniques. Leur originalité, du point de vue de Perret (2009 : 128), « est de construire des axes de recherche guidés par l’intention de traiter conjointement ces dimensions que les spécialisations traditionnelles laissent séparées ». Au-delà de son caractère interdisciplinaire, presque tous les chercheurs sont d’accord, et c’est ce que relève Bougnoux (2001), sur le fait que les SIC ont un « noyau dur ».
2.4. UN « NOYAU DUR » : LA LOGIQUE DES MEDIAS ET DES TIC
Le « noyau dur » des SIC, du point de vue de Daniel Bougnoux (2001), c’est la logique des médias et du développement des technologies de l’information et de la communication. Il s’agit d’un solide terrain empirique conféré aux SIC par l’histoire. Ainsi, « les SIC [accompagnent et] tentent de cadrer aujourd’hui les transformations des médias, le développement incessant des ‘nouvelles technologies’ ainsi que l’essor des relations publiques en général. » C’est pourquoi Alex Mucchielli (1995) distingue quatre domaines principaux de recherche en SIC : les communications de masse, les communications de type publicitaire, les technologies de l’information et de la communication, les communications d’entreprise. Des axes de recherches, quant à eux, sont proposés par plusieurs chercheurs et se recoupent, à quelques exceptions près, dans le programme énoncé par Laurent Charles Boyomo-Assala et Jean-François Tétu (2010 : 161) : « le rapport à la technique et aux objets ; la question des significations ; la socioéconomie ou l’économie politique du champ de la communication ».
L’on peut dire, in fine, que les SIC n’ont pas d’objet propre, pas plus que l’économie, la psychologie, la sociologie, etc., mais qu’elles ont des objets privilégiés. Il s’agit de ce qui met en évidence des processus d’information et de communication constitutifs de médiations sociales et culturelles. Historiquement, elles ont supplanté les disciplines classiques qui ne se sont pas beaucoup préoccupées des transformations sociales induites par l’explosion de la communication. Celles qui s’y sont intéressées les ont envisagées dans une perspective disciplinaire forcément limitée. Or dans cette communication, rentrent en compte des objets de natures diverses qu’il faut interroger. Les enjeux de ces objets, quant à eux, sont à la fois techniques, économiques, culturels et sociaux.
En définitive, les SIC se positionnent dans le concert scientifique pour donner à l’étude de la communication l’importance qu’elle mérite au regard de son ampleur dans le monde contemporain. A partir d’interrogations nouvelles, elles posent sur des objets auxquels les disciplines anciennes ne se préoccupent pas prioritairement, un regard interdisciplinaire nécessaire à une meilleure compréhension des phénomènes étudiés.
CHAPITRE 3
Quelques modèles et théories de l’information et de la communication
COMPETENCES ATTENDUES DES APPRENANTS
– Présenter trois modèles linéaires de la communication
– Présenter trois modèles circulaires de la communication
– Expliquer et critiquer ces modèles en précisant les enjeux historiques ayant conduit à leur élaboration.
PLAN DE LA SEQUENCE PEDAGOGIQUE
– 3.1. Les modèles linéaires
3.1.1. Le modèle des « effets » de Lasswell
3.1.2. Le modèle mathématique de Shannon et Weaver
3.1.3. Le modèle linguistique de Jakobson
– 3.2. Les modèles circulaires
3.2.1. Le modèle cybernétique de Wiener
3.2.2. Le modèle orchestral du « collège invisible »
3.2.3. Le modèle concentrique de Hibert, Ungurait et Bohn
REFERENCES DOCUMENTAIRES
– Bertrand, C-J. (1999). Médias – Introduction à la presse, la radio et la télévision, 2e éd. Paris : Ellipses, Coll. Infocom.
– Cacaly, S., Le Coadic, Y-F, Pomart, P-D., Sutter, E. (2008). Dictionnaire de l’information. Paris : Armand Colin, 3e éd.
– Dortier, J-F. (2005). « La communication : omniprésente, mais toujours imparfaite », in La communication – État des savoirs. Auxerre : éd. Sciences humaines.
– Lexique d’information communication (2006). Paris : Dalloz.
– Mattelart, A. (1996), Histoire des théories de la communication, Paris, La Découverte, Coll. Repères.
– Miège, B. (2004). L’information communication, objet de connaissance. Bruxelles & Paris : De Boeck & Larcier, INA, Coll. Médias recherches.
– Mucchielli, A. (2005). « Les modèles de la communication », in La communication – État des savoirs. Auxerre : éd. Sciences humaines.
– Philippe, K. (2005). « Les scienes de l’information et de la communication », in La communication – État des savoirs, Auxerre : éd. Sciences humaines.
– Winkin, Y. (1996). Anthropologie de la communication. De la théorie au terrain. Paris & Bruxelles : De Boeck & Larcier.
Après avoir présenté les objets privilégiés, la nature interdisciplinaire et quelques domaines d’étude des sciences de l’information et de la communication (voir chapitre 2), il est nécessaire d’examiner quelques modèles et théories qui structurent les savoirs dans cette interdiscipline. Les modèles sont des schémas simplificateurs de théories. En communication, ils « essaient de décrire, de comprendre et d’expliquer la circulation des messages et des symboles » (Bertrand, 1999 : 15). Les modèles et théories de sciences de l’information et de la communication (SIC) peuvent être présentés de plusieurs façons. On les regroupe souvent suivant des objectifs précis. Dans le cadre de cette unité d’enseignement, le principe qui guide ce regroupement c’est les différents sens de la notion d’information communication.
A partir du déblayage conceptuel (voir chapitre 1), il est possible de dégager globalement deux tendances lourdes : d’une part l’information-communication comme transmission de contenus symboliques et, d’autre part, comme échange ou partage de messages. La logique de transmission des données, des renseignements ou des nouvelles est essentiellement linéaire, c’est-à-dire que l’on part d’un point défini pour un autre point bien déterminé. Par contre, la logique de partage et d’échange de messages est principalement circulaire, un peu comme si la communication n’était qu’une participation à des échanges. Ainsi, on distinguera les modèles et théories linéaires des modèles et théories circulaires.
Trois modèles sont choisis dans chacun des deux groupes. Ce choix s’inscrit dans une trajectoire historique pour rendre compte de l’évolution de la pensée communicationnelle. Tout comme il tient compte de la diversité des approches qui fécondent l’interdiscipline. Les modèles présentés sont surtout assez représentatifs de la grande diversité des théories des SIC depuis les années 1940.
3.1. LES MODELES ET THEORIES LINEAIRES
Les modèles et théories linéaires de l’information communication sont nombreux et hétérogènes. Ils viennent autant de sciences dites exactes que des sciences humaines et sociales. Ils cherchent généralement à résoudre des problèmes liés à la transmission de l’information, aux fonctions du langage dans la communication, à ses effets sur les individus ou la société. Nous en examinons principalement trois des plus vulgarisés et des plus représentatifs : le modèle dit des effets de Lasswell, le modèle mathématique de Shannon et Weaver, le modèle linguistique de Jakobson. Ces modèles seront d’abord présentés, ensuite expliqués, enfin critiqués.
3.1.1. Le modèle de la « piqûre hypodermique » de Lasswell
Le sociologue et politologue américain Harold D. Lasswell (1902 – 1978) est l’un des premiers chercheurs à avoir modélisé le processus de la communication de masse. En 1948, il propose dans un article, « The structure and function of communication in society » , un modèle de référence permettant de décrire, d’analyser et de comprendre toute action de communication. Ce modèle est constitué d’un ensemble de questions systématisant les préoccupations des chercheurs intéressés par la communication médiatique. Selon Lasswell, on peut comprendre « convenablement une action de communication en répondant aux questions suivantes : ‘Qui, dit quoi, par quel canal, à qui, avec quels effets ?’ »
Le « qui », premier élément de la question-programme, correspond à l’émetteur d’un message. Pour Balle (2003 : 639), ce « qui » renvoie à « l’étude sociologique des milieux et des organismes émetteurs : journalistes, vedettes de la radio ou de la télévision et entreprise de presse ou de radio télévision. » C’est également le lieu où l’on étudie les facteurs qui motivent l’acte de communication. Le quoi, deuxième membre du paradigme, représente le contenu de la communication. Il s’agit du message, qui donne lieu à l’analyse de contenus. Le canal, troisième interrogation, se rapporte aux techniques, aux supports de communication ou aux médias. Les chercheurs s’y intéressent pour voir comment il fonctionne et quelle peut être son influence sur la transmission et la réception du message. Le deuxième qui, quant à lui, correspond au récepteur des messages. Il conduit à l’étude de l’audience des médias selon des variables traditionnelles telles que le sexe, l’âge, le lieu d’habitation, les habitudes de consommation des médias etc. Le cinquième élément du modèle, « avec quels effets », renvoie à l’influence des médias. A ce sujet, le débat entre les effets puissant ou limités, ou les effets directs ou indirects n’a jamais été clos.
Quoi qu’il en soit, ce dernier des cinq éléments du paradigme est celui sur lequel l’essentiel des travaux de la « mass communication research » s’est concentré. Il rejoint en réalité le projet que Lasswell nourrit depuis les années 1930, à savoir mesurer l’impact des communications sur les individus et la société. C’est pourquoi son modèle est qualifié par certains observateurs de « modèle des effets ». Comme l’explique Mattelart (1996 : 16), Harold D. Lasswell remarque en effet dans son ouvrage Propaganda Techniques in World War , que « les moyens de diffusion des messages sont apparus comme des instruments indispensables à la gestion gouvernementale des opinions. » L’idée de la toute puissance des médias domine ainsi ses réflexions. L’audience est envisagée comme une cible passive et le média est supposé agir, comme Lasswell le dit lui-même, selon le modèle de « l’aiguille hypodermique » dans la logique du conditionnement répondant (stimulus – réponse) de Pavlov.
Poursuivant sa logique de recherche des effets des communications de masse, Lasswell propose en 1935 dans World Politics and Personal Insecurity « l’étude systématique du contenu des médias et l’élaboration d’indicateurs en vue de dégager les tendances de la « World attention », c’est-à-dire les éléments qui façonnent l’environnement symbolique mondial et de construire des politiques » (Mattelart, 1996). En 1948, il attribue trois fonctions principales aux communications de masse dans la société : « a – la surveillance de l’environnement, en révélant tout ce qui pourrait menacer ou affecter le système de valeurs d’une communauté ou des parties qui la composent ; b – la mise en relation des composantes de la société pour produire une réponse à l’environnement ; c – la transmission de l’héritage social » (The structure and function of communication in society). Sa question-programme qui systématise ainsi la sociologie fonctionnaliste des médias, légitime sa hantise des effets des médias sur les individus et la société.
Le schéma que Lasswell propose pour analyser et comprendre la communication a le mérite d’être clair, en ce qu’il délimite sans ambigüité les pôles de recherche ainsi que les éléments intervenant dans le processus de communication. L’analyse des effets pèche cependant en ce qu’elle consacre la toute puissance des médias qui agissent sur un récepteur passif. De même, elle ignore la notion de feedback. De nombreuses études montrent en effet que les médias ne sont pas tout-puissants et que les publics, loin d’être passifs, sont bien plus actifs qu’on ne le croit.
3.1.2. Le modèle mathématique de Shannon et Weaver
Le processus de la communication transmettrice d’informations est souvent campé par le modèle mathématique de la communication, issu de la théorie de l’information. Mis au point en 1948 par Claude Elwood Shannon et Warren Weaver, ce modèle présente la communication comme un processus en plusieurs étapes : une source d’information formule un message que code et transmet un émetteur par un canal vers un récepteur qui le décode à l’attention d’un destinataire.
Voici comment Shannon et Weaver, cités par Winkin (1996 : 15), décrivent eux-mêmes leur modèle dans The Mathematical Theory of Communication (1949/1975 : 36). « L’émetteur transforme [le] message en signal qui est alors envoyé par le canal de communication de l’émetteur au récepteur. Dans le cas du téléphone, le canal est un fil métallique, le signal un courant électrique variable parcourant ce fil ; l’émetteur est un ensemble d’éléments (émetteur téléphonique, etc.) qui transforme la pression du son vocal en un courant électrique variable. Dans le cas de la télégraphie, l’émetteur code des mots écrits en séquences de courant interrompu de longueurs variables (points, traits, blancs). Pour le langage parlé, la source d’information est le cerveau, l’émetteur est l’organe vocal qui produit la pression variable sonore (le signal) transmise à travers l’air (le canal). Pour la radio, le canal est simplement l’espace (ou l’éther, si quelqu’un préfère encore ce mot ancien et fallacieux) et le signal est l’onde électromagnétique qui est transmise. »
Dans ce modèle, le message c’est bien l’idée que veut transmettre la source. Ce message subit, au départ, un codage qui rend sa transmission possible. Ce codage est une forme donnée en principe par un appareil dont la technologie est compatible avec le canal et l’appareil de réception. En tant que moyen de transmission, le canal qui est chargé de véhiculer le signal (message codé) peut être défectueux ou parasité, de telle sorte que le récepteur et le destinataire ne reçoivent pas le message ou ne le perçoivent que partiellement. On parle donc de bruit dans la communication. Il s’agit de tout ce qui peut altérer un message. Le codage de départ induit un décodage à l’arrivée. Un autre appareil dédié doit interpréter les signaux reçus, les décrypter et les transformer en un message que le destinataire est capable de comprendre.
« Ainsi, commente Balle (2003 : 640), le modèle de la théorie de l’information constitue pour les chercheurs une invitation à concentrer l’attention, successivement, sur trois éléments inhérents à toute communication. D’abord, sur toute intervention extérieure au contenu de ce que l’on veut dire, mais qui est susceptible d’en modifier le sens (bruit sémantique). Ensuite, sur le nombre de répétitions nécessaires pour qu’un message soit correctement transmis (redondance sémantique). Enfin sur la capacité du canal de transmission, évaluée à la fois qualitativement et quantitativement. »
Ces conséquences du modèle de Shannon et Weaver sur l’orientation des recherches en communication est tributaire du contexte et des objectifs de l’élaboration de sa théorie. Leur travail se présente en fait comme une commande en vue de résoudre un problème stratégique : comment transmettre efficacement quantités de messages de telle sorte qu’ils ne soient ni brouillés ni interceptés par un ennemi et à des coûts soutenables ? La recherche a lieu dans la deuxième moitié des années 1940 au sein du Laboratoire Bell System (de Graham Bell, inventeur du phone), une filiale de l’entreprise de télécommunication ATT (American Telegraph and Telephone).
A l’issue des travaux de base, Shannon (1916 – 1984), ingénieur mathématicien, publie en 1948 une monographie intitulée « The mathematical Theory of Communication ». En 1949, sous la coordination de Waren Weaver, spécialiste de sciences humaines exerçant à l’Université de l’Illinois, cette monographie est augmentée des commentaires et devient un ouvrage sous le même titre, avec pour auteurs, Shannon et Weaver. L’information y est définie comme une réduction de l’incertitude et ils proposent un schéma simple qui rend compte de sa transmission. Weaver pose trois niveaux de problèmes relatifs à la communication : « Niveau A : avec quelle exactitude les symboles de la communication peuvent-ils être transmis (problème technique) ; Niveau B : avec quelle précision des symboles transmis véhiculent la signification désirée ? (problème sémantique) ; Niveau C : avec quelle efficacité la signification reçue influencera-t-elle la conduite dans le sens désiré ? (problème de l’efficacité) » (Shannon et Weaver, 1949/1975 : 32).
Weaver admet que le travail de Shannon ne s’adresse qu’au niveau A, son objectif principal étant de quantifier l’information, de réduire les bruits qui peuvent altérer le message et de proposer des formules de transmission à moindre coût.
Ce modèle très populaire présente quelques limites. La théorie shannonienne s’inscrit en effet dans une vision instrumentale et technique de la communication. Car la communication y est réduite à la seule information, elle même réduite à une quantité mesurable de signaux transmis qui sont pertinents non en fonction de leur signification, mais de leur imprévisibilité. Ce modèle est linéaire, mécaniste, univoque et séquentiel, c’est-à-dire que la communication est orientée dans un seul sens, découpée en séquences. La relation entre les individus est ignorée et le contexte est oublié. En réalité, la théorie est élaborée pour répondre aux besoins d’ingénieurs et non d’une communication humaine car elle ne prend pas en compte la signification du message.
3.1.3. Le modèle des fonctions du langage de Jakobson
Le modèle des fonctions du langage est diversement interprété par plusieurs auteurs. La présentation ci-après s’inspire des travaux de sémiotique de Jean-Marie Klinkenberg (1996) . Selon ces travaux, le schéma présentant le modèle des fonctions du langage met en scène six facteurs nécessaires au processus de communication : l’émetteur, le récepteur, le référent, le code, le canal et le message. A chacun de ces facteurs, correspond une fonction du langage humain : émotive, conative, référentielle, phatique, métasémiotique, poétique.
L’émetteur, encore appelé destinateur, a l’initiative de la communication. Il ne s’agit pas forcément d’une personne humaine, encore moins d’une personne ayant véritablement envie de transmettre une information précise. Ce peut donc être un animal, une chose, une machine, etc. Le récepteur, autrement nommé destinataire, reçoit le message de l’émetteur, transmis consciemment ou non. Tout comme pour le cas de l’émetteur, il ne s’agit pas forcément d’un être humain. Le référent c’est ce à propos de quoi on communique, ce dont on communique le sens. Autrement dit, c’est le sujet de la communication, ce dont on parle. Il ne s’agit donc pas de la chose en soi, mais d’une représentation. Le référent renvoie aussi souvent au contexte, à la situation motivante de communication et même aux conditions de production et de réception du message. A cet effet, certains rapprochent souvent la notion de source (l’événement ou la manifestation productrice d’informations) à celle de référent. Le référent n’est pas nécessairement quelque chose de vrai, de réel ou de palpable.
Le canal, quant à lui, est le support physique qui véhicule l’information. Selon Klinkenberg (1996 : 47), il est constitué d’une triple réalité. D’abord des stimuli que ressent le récepteur, ensuite les caractéristiques de l’appareil qui a émis les signes, enfin les caractéristiques de l’appareil qui les reçoit. L’auteur s’appuie en effet sur le postulat selon lequel toute perception de signes part d’une expérience sensible. Ainsi, les stimuli qui constituent la première réalité du canal peuvent être « des ondes sonores [elles sont transportées par l’air] impressionnant les terminaisons nerveuses de mon oreille interne, des radiations lumineuses frappant ma rétine, des molécules parvenant à des terminaisons nerveuses spécialisées situées dans mes fosses nasales, des pressions physiques s’exerçant sur ma peau », etc.
Le code, lui, « est une série de règles qui permettent d’attribuer une signification aux éléments du message et donc à celui-ci tout entier » (Klinkenberg, 1996 : 49). C’est l’interface entre le stimulus et le référent ; il transforme l’expérience sensible en référent. Autrement dit, c’est le code qui permet de percevoir la signification et de comprendre le message. Une langue est par exemple un code. Pour que la communication soit efficace, il est nécessaire que ce code soit partagé par les partenaires (émetteurs et récepteurs). Le message, enfin, est fait de signes. C’est, selon Klinkenberg (1996 : 52), le produit des cinq premiers facteurs. « C’est, au fond, une portion de référent transformé par un code, et dans lequel se noue l’interaction des partenaires de la communication, ce qui la rend transmissible par un canal. »
Suivant l’importance accordée à chacun des six éléments du modèle linguistique de base, on peut distinguer six fonctions de la communication. La fonction émotive, aussi appelée fonction expressive, est centrée sur l’émetteur. Elle met en évidence la condition de celui-ci au moment de l’émission. La fonction conative, autrement désignée fonction impérative, est centrée sur le récepteur. Elle cherche à mettre le récepteur en mouvement, ou alors à modifier ses conditions d’existence. La fonction référentielle est centrée sur le référent et caractérise l’information « objective ». La fonction phatique, ou fonction de contact, est rattachée au canal. Elle vise à s’assurer que la communication se passe dans de bonnes conditions : c’est-à-dire que le support de transmission du contenu est en bon état, que le destinataire est bien disposé à recevoir le message, etc.
La fonction métasémiotique, souvent dite métalinguistique dans le cas d’une communication verbale, est centrée sur le code et intervient lorsque des signes servent à désigner d’autres signes, sans doute pour mieux les expliciter. C’est le cas de définitions et autres précisions sur les codes utilisés. La fonction poétique, encore appelée fonction esthétique ou rhétorique, se rapporte au message lui-même et attire l’attention sur les formes et styles et, si l’on est dans le cadre d’une communication verbale, le choix des mots, des structure de phrase, des figures de grammaires, de vocabulaire, de raisonnement ou de pensée.
Le modèle des fonctions du langage a été élaboré à l’origine à partir des travaux du linguiste russo-américain Roman Jakobson pour rendre compte de la communication linguistique. Comme l’indique Karine Philippe , le modèle est présenté dans « Poétique et linguistique », l’article qui clôt le premier tome de son maître-livre, Essais de linguistique générale dont la première édition en français date de 1963. C’est un recueil d’articles publiés à l’origine dans diverses revues russes, allemandes et américaines. Ces articles traitent pêle-mêle de phonologie, de grammaire, de pathologie du langage, de poétique, de communication, ou encore des liens entre linguistique et anthropologie. Ils reflètent plus de trente ans de recherches (de 1938 à 1972).
Dans l’article (« Poétique et linguistique ») où Jakobson offre aux linguistes intéressés par les phénomènes de communication le paradigme de travail, il cherche tout particulièrement à saisir les spécificités de la fonction poétique – à savoir ce qui fait qu’un message soit une œuvre d’art –, passion sous-jacente à l’ensemble de son œuvre. C’est en s’interrogeant sur cette fonction poétique qu’il est amené à présenter toutes celles qui interviennent dans le processus de la communication linguistique, afin de bien les différencier. Pour y arriver, Jakobson s’inspire principalement de la théorie de l’information de Shannon et Weaver et, subsidiairement, des recherches du psychologue Karl Bühler. Il part du modèle dans lequel le message relie l’émetteur au récepteur par le biais d’un code. L’innovation qu’il apporte ce sont les six fonctions du langage.
Les critiques adressées à Jakobson sont nombreuses. Globalement, on lui reproche d’avoir élaboré un modèle « ping-pong » qui conçoit la communication comme un processus « où des messages sont expédiés comme des balles, de manière unidirectionnelle, le long d’un même canal. Et les partenaires se contenteraient d’échanger leurs statuts tour à tour » (Klinkenberg, 1996 : 64). Le modèle linguistique classique de la communication est en effet souvent interprété comme s’il n’y avait qu’un seul code et un seul message au cours d’une communication. On le comprend aussi généralement dans le sens où le feedback est éludé dans le processus. On le perçoit également comme s’il existait une séparation étanche entre les différentes fonctions et qu’un message pouvait remplir une seule fonction à la fois.
En réalité, il y a généralement une pluralité de codes et de messages qui interviennent au cours d’une communication. Par exemple, l’échange oral de paroles entre deux interlocuteurs s’accompagne presque toujours de gestes et attitudes. Or l’expression gestuelle est un code différent ; il peut même simultanément transmettre un message autre que des paroles. En plus, dans une situation de communication, les interlocuteurs s’ajustent toujours l’un en fonction de l’autre. Il arrive même qu’un des partenaires interrompt un énoncé lorsqu’il se rend compte que l’autre a compris ce qu’il veut faire percevoir. Par ailleurs, un message ne peut pas remplir une seule fonction. Toutes sont presque toujours réunies dans une communication, sauf qu’une ou quelques-unes peuvent se révéler dominantes. De même, il est difficile d’établir une frontière étanche entre différentes fonctions. En prenant l’exemple de la fonction référentielle, on voit bien que les choses ont tendance à se mélanger. Par exemple, toute information (fonction référentielle) modifie le stock de connaissance de celui qui le reçoit (fonction conative) ; tout comme tout discours fait des retours sur lui-même (fonction métasémiotique) pour s’assurer que le contenu est clair (fonction référentielle).
En conclusion, les modèles, paradigmes et théories linéaires de la communication ont l’avantage d’être clairs et bien simplifiés pour permettre une première compréhension des processus de communication. Ils permettent de repérer sans ambiguïté les facteurs du processus à travers les éléments du schéma et restent par ailleurs utiles dans l’élaboration des typologies et situations de communication. Mais il est nécessaire, pour pouvoir analyser efficacement les processus de communication, d’étudier les modèles et théories circulaires.
3.2. LES MODÈLES ET THÉORIES CIRCULAIRES
Les modèles et théories circulaires sont celles qui vont au-delà de la communication transmettrice d’information pour l’envisager véritablement comme un échange progressivement construit par l’interaction. Selon ces modèles, la communication est un processus circulaire, où les notions de feedback et de système sont centrales pour comprendre les dynamiques d’échanges et de partage de messages. Comme dans le cas des modèles linéaires, nous examinons ici trois de ces modèles circulaires : le modèle cybernétique de Wiener, le modèle orchestral du « collège invisible », le modèle concentrique de Hiebert, Ungurait et Bohn.
3.2.1. Le modèle cybernétique de Wiener
Le modèle cybernétique peut être considéré comme le modèle circulaire classique de la communication . Littéralement, le mot cybernétique, issu du grec kubernétiké, est l’art ou la science de piloter, de gouverner. Norbert Wiener lui-même définit ce terme qu’il a forgé dans les années 1940 comme « l’étude de la commande et de la communication chez l’animal et dans la machine ».
Selon le Lexique d’information communication (2006 : 120), « la cybernétique appréhende les phénomènes comme des systèmes, c’est-à-dire un ensemble d’éléments organisés de telle sorte que toute modification apportée à un élément affecte tous les autres. Elle est aussi un modèle de circulation de l’information qui peut être appliqué à l’ensemble de l’organisation sociale et qui a constitué, au lendemain de la seconde Guerre mondiale, une nouvelle idéologie censée lutter contre le « bruit » et la désorganisation, grâce notamment à une utilisation efficace des machines à communiquer, en particulier des ordinateurs. »
Voici comment Karine Philippe (2005 : 60) décrit le modèle : « Grâce au feedback (action en retour), la machine peut intégrer de nouvelles données sur l’environnement extérieur (input) afin de mieux exercer son action (output). Elle ne se contente plus d’exécuter, mais peut désormais s’adapter. » Le dispositif semble donc clair. Une machine doit résoudre des problèmes en échangeant des informations soit avec une autre machine, soit avec des hommes ou des animaux dont la réponse n’est pas sûre et la position éventuellement changeante. La machine intelligente, émet des informations. L’autre réagit. En fonction de cette réaction, la machine modifie son comportement, se réajuste avant de continuer l’échange. Il y a là la notion de feedback qui apparaît comme centrale dans la dynamique de communication. Comme enjeu sous-jacent, il y a le contrôle de l’autre par l’émetteur. Ainsi, de façon générale, la cybernétique vise à maintenir la régulation et l’équilibre du système. Elle est à l’origine des recherches sur la création de machines simulant le comportement humain. »
La première application du modèle cybernétique est militaire. « Pendant la seconde Guerre mondiale, explique Cacaly (2008 : 280), Norbert Wiener (1894 – 1964) participa aux recherches menées pour la défense antiaérienne [de l’armée américaine]. Le problème à résoudre résidait dans la mobilité d’une cible dont la trajectoire ne pouvait se prévoir qu’à partir d’informations partielles sur sa position antérieure . Ces recherches le conduisirent à étudier le domaine de l’asservissement de machines en interaction auquel il intégra des facteurs logiques de comportement, grâce, en particulier, aux notions de contrôle et de communication. Il établit ainsi le principe de base de la robotique actuelle […] En 1946, il prononce à l’Académie des sciences de New York une conférence, Teleological Mechanism. Norbert Wiener y présente une conception achevée de sa théorie avec ses notions fondamentales de message, de communication, d’information, de rétroaction (feedback) et d’entropie. A Paris, en 1948, il publie son ouvrage fameux : Cybernetics, or control and communication in the animal and the machine. » C’est dans ce livre que le modèle est explicité.
3.2.2. Le modèle orchestral du « collège invisible »
Selon Mucchielli (2005 : 54), « le modèle de l’orchestre a été introduit par Yves Winkin dans son ouvrage La nouvelle communication. » Ce modèle conçoit la communication comme un orchestre musical en scène où chaque membre prend part à une performance collective. Il y a donc dans ce modèle des acteurs ou des communicants dont le jeu, considéré individuellement, ne peut donner la performance attendue, c’est-à-dire une symphonie. Ces acteurs ont à leur disposition des instruments et des partitions qu’ils n’ont pas créées, mais qu’ils exécutent simplement.
Autrement dit, les hommes participent seulement à la communication. Les instruments qu’ils ont à leur disposition ce sont les différents codes. La scène de prestation ce sont les différents contextes et situations motivantes de communication. Il s’agit toutefois d’un orchestre atypique où les musiciens n’ont pas de partition. Pour Winkin (1996 : 84), « ils sont plus ou moins harmonieux dans leurs accords parce qu’ils se guident mutuellement en jouant. L’air qu’ils jouent constitue pour eux un ensemble de relations structurées ». Winkin admet aussi que cet orchestre n’a pas de chef. On peut toutefois remarquer que ce qui dirige la production de la symphonie, c’est l’infrastructure culturelle qui régit les relations entre différents individus à l’intérieur de la société.
On ne communique pas seul. C’est pourquoi dans le modèle orchestral, la communication est définie « comme une production collective d’un groupe », donc un acte social. Lorsque la communication est conçue comme un acte social, explique Winkin (1996 : 83), « un mécanisme d’un ordre supérieur est posé au-dessus de la communication interindividuelle. Chaque acte de transmission de message est intégré à une matrice beaucoup plus vaste, comparable dans son extension à la culture. C’est cette matrice qui reçoit le nom de communication sociale. Elle constitue l’ensemble des codes et des règles qui rendent possibles et maintiennent dans la régularité et la prévisibilité les interactions et les relations entre les membres d’une culture. La communication sociale et donc permanente. » La problématique principale de cette communication sociale est de savoir comment se passe l’articulation des jeux individuels pour que finalement cela aboutisse à une production collective.
Le modèle orchestral s’est ainsi formulé à partir des travaux d’un réseau de chercheurs venants d’horizons divers (anthropologie, psychologie, sociologie, philosophie, etc.) et travaillant dans des centres de recherches n’ayant pas forcément de relations institutionnelles. D’où l’appellation « collège invisible » par Yves Winkin. Mais l’École de Palo Alto fondée à la fin des années 1950 dans la banlieue sud de San Francisco en Californie aux États-Unis est souvent présenté comme le noyau de ce réseau de chercheurs. Autour de Gregory Bateson, Don Jackson, Paul Watzlawick, Janet Helnick-Beavin, Erving Goffman, Ray Birdwhistell, Edward T. Hall, etc. bâtissent leurs recherches avec comme trame épistémologique, entre autres, la notion de système hérité du modèle cybernétique.
Les membres du collège invisible critiquent violemment le modèle linguistique de Jakobson et apportent du sang neuf à l’analyse des communications. Les chercheurs de ce collège démontrent qu’on ne peut pas ne pas communiquer. La présence d’un être humain à un endroit induit déjà des communications car « vivre c’est communiquer ».
On doit également à ce collège la distinction entre le contenu et la relation dans une situation de communication. Toute communication a deux dimensions : le contenu et la relation, tel que le second englobe le premier. En fait, la notion de cadre paraît essentielle dans la signification des actes de communication. La reconnaissance du cadre apparaît comme la condition minimale de perception d’un message. Un exemple : une femme qui se déshabille dans le cabinet du gynécologue, n’a pas la même signification qu’une femme qui se déshabille dans un lavabo, ou alors dans la chambre de son amant. Pour commencer à décrypter un acte de communication, il faut donc au préalable en situer le cadre.
3.2.3. Le modèle concentrique de Hiebert, Ungurait et Bohn
Le modèle concentrique de Ray Hiebert, Donald Ungurait et Thomas Bohn tel que présenté par Bertrand (1999 : 17) concerne la communication de masse. Il dépeint celle-ci comme un « ensemble d’éléments concentriques impliqués dans un mouvement d’actions et de réactions ».
On a donc, dans la première phase du dispositif, des organismes émetteurs (rédaction d’un journal, équipe audiovisuelle, agence de publicité, etc.) qui sont au départ de la communication. Leurs messages sont encodés sous une forme diffusable. Avant qu’ils n’atteignent le public, des responsables de lignes éditoriales filtrent et sélectionnent ce qui doit être diffusé. Puis les messages sont émis par la technologie dédiée.
Dans la deuxième phase, interviennent des régulateurs. Il s’agit de groupes de pression et des institutions qui exercent une influence sur les médias. Cette influence affecte les contenus. Puis, entrent en scène d’autres filtres d’ordre physique (fatigue du récepteur, par exemple) ou psychologique (centres d’intérêt propres au récepteur). Le message toute enfin l’audience et provoque un certain nombre d’effets. Mais il peut être altéré par des perturbations naturelles (zones d’ombres) ou sémantiques (utilisation d’un langage inadapté pour le public visé).
Dans la troisième phase, la rétroaction peut modifier l’élaboration de nouveaux contenus. Cette rétroaction se fait immédiatement, comme dans le cas des émissions interactives (appels téléphonique, courrier des lecteurs, opinion lors d’un sondage, etc.).
Il y a là donc une imbrication de l’action de différents intervenants dans la dynamique de communication de masse. Tout se passe comme dans un mouvement ondulatoire du centre vers la périphérie, et de la périphérie vers le centre. Contrairement au modèle linéaire de Harold D. Lasswell par exemple, ce modèle circulaire mis au point au milieu des années 1970, est riche et complexe. « Il n’est cependant pas sans défaut puisque le contexte dans lequel s’insère le processus de communication n’est guère pris en compte : l’histoire, la culture, le régime politique, le stade de développement économique, voire la tradition journalistique du pays considéré, semblent ignorés » (Bertrand, 1999 : 18).
En définitive, les modèles servent à lire, à interpréter et à comprendre les phénomènes d’information et de communication. Ces modèles ont une histoire. Ils évoluent avec le temps, en fonction des enjeux. Les modèles linéaires, essentiellement positivistes – ils sont conçus dans une logique de causalité linéaire – visent globalement à analyser les effets de la communication et son efficacité. Les modèles circulaires, essentiellement systémiques, cherchent quant à eux à étudier la permanence et les changements dans les systèmes de communication. Les modèles permettent ainsi de cadrer ce que l’on veut étudier pour cerner les acteurs, les enjeux, les dimensions du phénomène, etc. Chaque modèle utilisé révèle la signification du phénomène à partir d’un point de vue.
Il n’y a pas de modèle passe-partout, ni de modèle dépassé. Les ingénieurs de télécommunications continuent d’utiliser le cadre de référence théorique tracé par Shannon, tout comme les spécialistes de médias se servent encore du paradigme de Lasswell, les analystes du discours du schéma de Jakobson, etc., même s’ils introduisent dans les modèles initiaux des aménagements. Tout dépend donc de la nature du phénomène que l’on veut analyser et de l’objectif de connaissance que l’on se fixe. /